Quel est l’impact du digital sur le fonctionnement psychique des adultes à long terme, sur celui des enfants en construction ? Quel impact sur notre pratique clinique de psychanalystes à l’écoute de l’inconscient ?
Le président, Jean Philippe Guéguen, dans l’introduction de cette journée scientifique posait des questions essentielles concernant les effets du numérique dans leur relation à la réalité, dans la relation au corps du sujet, dans ses relations à l’autre.
Daniel Defays, spécialiste de l’IA et de l’analyse du fonctionnement de l’esprit, nous a fait une présentation enthousiaste - et néanmoins critique - des évolutions de l’IA. Lorsqu’on parle d’intelligence artificielle peut-on parler d’accès au sens avec la complexité des combinaisons des différents algorithmes en jeu ? L’IA s’appuie sur le langage. Mais qu’en est-il de la chair des mots, de tous ces implicites que le langage porte dans son ombre ? Les sensations, les émotions, les mouvements pulsionnels sexuels ou agressifs qui donnent au langage sa texture, vont-ils disparaître ? Les interactions du sujet avec la machine tentent d’imiter les relations entre humains. Mais la machine, toujours d’accord avec son interlocuteur, lisse les pensées pour répondre à la demande. L’altérité y est absente, restreignant la connaissance et la complexité des échanges vers une convergence d’opinions. Les productions de l’esprit, les métaphores complexes, l’humour, le rêve, les fantasmes, s’effacent.
C’est sans doute parce que l’on croit que la machine pourrait tout remplacer et faire beaucoup mieux que nous qu’il y a danger. Pour l’instant peu de travaux nous parlent des risques pour l’esprit, la société et des réglementations souhaitables. Le remplacement du travail des hommes, la diminution des apprentissages et des capacités cognitives de l’esprit humain, un rapport plus contraint au corps, une difficulté croissante de l’écoute de l’inconscient et de la symbolisation…La relation au numérique ne peut-elle renforcer, soutenir les procédés auto-calmants, ou encore certaines défenses autistiques ? Si certains pensent que le numérique peut aider à l’inclusion des enfants autistes, ne peut-on penser que tous nous allons accroître et alimenter des défenses autistiques de façon plus générale ?
Trois présentations cliniques d’Anna Dal Mas, de Valérie Tanquerey et de Jolanta Tijus-Glazewski ont montré le travail avec des sujets en difficulté d’intériorisation de l’objet, le numérique servant de médiat et cherchant à pallier à l’angoisse de la perte de l’objet. Comment le psychanalyste travaille et reste à l’écoute de l’inconscient avec la présence du numérique occupant l’espace de la scène thérapeutique ? Les références aux représentations culturelles de l’analyste qui peuvent donner sens et représentation, portées par une parole adressée, le travail sur le transfert-contre-transfert, la pensée du cadre, le cadre externe mais surtout le cadre interne de l’analyste sont, ici aussi, les outils mis en œuvre pour permettre une écoute de l’inconscient.
Le travail du psychanalyste doit-il s’adapter, se modifier avec la pratique des nouvelles technologies ?
Léopoldo Bleger, s’appuyant sur son récent ouvrage ‘Analyse en présence, analyse à distance’ nous a exposé les recherches sur la place des technologies dans la pratique des psychanalystes par de nombreux auteurs. Les changements de cadre, en particulier l’analyse à distance, par son aspect transgressif questionne les psychanalystes qui trop rapidement s’expriment pour ou contre. Ne peut-on interroger sur quelle conceptualisation s’appuient ces positions proches de la conviction ? Une certaine idéologie ne s’infiltre-t-elle pas dans des théorisations justifiant une position ou l’autre ? La présence du corps et ses mouvements infra-verbaux dans les séances ne contribuent-ils pas largement à un contre-transfert approfondi nécessaire dans la cure ?
Des craintes concernant la confidentialité sont apparues : le vécu d’espace intime propre à l’analyse n’est-il pas menacé ?
Plus d’appui sur la sensorialité, et en particulier sur le visuel, ne renforce-t-il pas un aspect opératoire du fonctionnement psychique, en floutant la perception possible du sexuel ? D’autres ont évoqué un renforcement, du coté de l’excès, du Surmoi.
Nous avons souligné combien le transfert négatif peut être évité à distance. « Nul ne peut être tué in abstentia ou in effigie » disait Freud. Agir transférentiel, clivages, autant de manifestations difficilement élaborables entre analysant et analyste dans ce contexte.
Le but de la cure, avec sa mise en récit, vise une modification de la texture psychique et du refoulement primaire du sujet. Est-ce envisageable dans une analyse à distance ?
La journée s’est terminée par une table ronde avec tous les intervenants et un sentiment de discussion ouverte et partagée.
Nous sommes cependant restés avec de nombreuses questions sur l’avenir de ce monde nouveau, interrogations des psychanalystes bousculés par les nouvelles réalités. Il semble que cela ne fait que commencer et que nous devrons poursuivre nos discussions ...
Bleger L. « Analyse en présence, analyse à distance » Petite bibliothèque de psychanalyse, Paris, Puf, 2024.
Freud S. (1912), Sur la dynamique du transfert, ocf.p, XI, Paris, Puf, 2005.