Comment la culture, les prises de positions radicales, les drames qui agitent notre société, nous traversent-ils ? Comment notre éthique, c’est-à-dire notre supposée neutralité, est-elle bousculée ? Quelle est notre perméabilité aux événements « du dehors » et, d’une façon plus globale, à tout ce que nous amènent nos patients, avec leurs convictions, leurs idéaux, leur détermination ? Quelles sont nos résistances, dans tous les sens du terme ?
Dans notre époque troublée et turbulente, nous pourrions être tentés de nous retirer dans l’espace imperturbé ou, en tout cas, plus paisible et relativement contrôlé de nos bureaux, nos livres ou nos débats feutrés, tout intérieurs. En quelque sorte nous abriter dans le confort isolé d’une démarche dite scientifique, sublimée, visant la connaissance, l’amélioration ou l’approfondissement de notre objet d’intérêt ou de savoir.
Dans quelle mesure est-ce encore possible, voire réaliste ? Qu’il s’agisse des questions autour de l’antisémitisme ou des débats sur les phénomènes transgenres, les boucliers se lèvent, à tort ou à raison, pour freiner, voire empêcher, la réflexion. Même si l’objectif scientifique est clair, il ne manque pas de groupes ou d’individus pour l’interpréter et pour l’inscrire dans un contexte fermé au dialogue.
Comment concevoir la neutralité, l’abstinence, quand nos identités personnelles ou institutionnelles sont jugées à l’aune des réseaux sociaux et suggèrent, presque sur un mode réflexe, une assignation « dis-moi ce qui t’intéresse, je te dirai qui tu es, pro ou anti quelque chose ou quelqu’un ».
Comment oser penser encore ? Pourtant, notre vocation n’est-elle pas de chercher à préserver des espaces où la pensée se distingue de l’acte en lui-même ? Éviter le dénigrement, le déni. Accepter l’autre, différent de nous.
Devons-nous nous résoudre à ce que penser, échanger, débattre, soit un acte politique ?
L’approche scientifique peut-elle être « neutre » ? Est-elle toujours vérité ? N’est-elle pas toujours infiltrée par une idéologie, une approche partisane, un désir de démonstration ? Peut-elle prétendre être objective ?
Le psychanalyste qui travaille avec et sur la subjectivité, qui interprète, peut-il s’extraire du contexte (politique) où il exerce ? Une étanchéité absolue avec son environnement est non seulement une illusion, mais risque de le couper de la réalité. Nous nous devons de préserver coûte que coûte notre capacité et notre liberté de penser et ne pas nous laisser entraîner dans des systèmes où domine une pensée binaire, clivante, qui cherche à imposer une vérité.
Scientifique ou pas, quand une vérité n’accepte plus aucune contradiction, elle n’est rien d’autre qu’un refus de penser, une première marche vers la radicalité et le totalitarisme.