À l’arrivée, une ville inconnue, d’immenses places quasi désertes et balayées par un vent froid plongent dans une étrange impression de solitude et de vide. Peu de monde dans les trop nombreux cafés et restaurants, personne sur les terrasses … Où sont les habitants ? Le centre de la ville aux dimensions géantes semble démesuré ou laisse présager de la possibilité de rassemblements gigantesques.
Les façades colorées d’immeubles qui affichent leur reconstruction récente jouxtent édifices et monuments grisonnants, noircis, dans une sorte de contraste recherché. Pourtant il semble que ces bâtiments aussi soient en partie ou complètement rebâtis après la deuxième guerre mondiale à la fin de laquelle la ville a été bombardée, par les Alliés, totalement détruite. Ces repères historiques de Dresde autrefois ont été reproduits à l’identique, usant de matériaux modernes d’origines diverses, béton griffé, paré, peint en trompe l’œil … S’ils nous invitent à considérer que tout ne fut pas perdu du temps d’avant, paradoxalement, ils n’en soulignent qu’avec plus de redondance la trace de la destruction. En 1945, à Dresde, le coût de la libération fut énorme : on compta 25 000 morts, une ville en feu et en cendres.
C’est dans ce décor aux allures parfois inauthentiques qui s’anime vivement au premier rayon de soleil qu’eut lieu la récente 38e Conférence annuelle de la FEP avec comme thème : ‘Liberté’. Celui-ci résonne profondément avec ces événements funestes. Le puissant paradoxe qui souligne la part obscure de la liberté, l’inévitable violence qu’elle requiert et qu’elle libère, fut développé par Laurence KAHN de façon brillante et exceptionnellement intelligente lors de la conférence inaugurale, « Les égarements de la liberté » (à retrouver sur le site de la FEP).
Dans cette atmosphère de rappel permanent du passé terrible et devant les développements effrayants du présent, n’est-ce pas la question du devenir de nos blessures qui se pose ? Quelles (re)constructions, quels processus de deuil, de sublimation … pour tenter de se dégager et reprendre vie ? … pour déjouer le risque paralysant et douloureux de l’enkystement ? La conférence à Dresde a ouvert à la complexité de ces interrogations. Et loin d’apparaître surannée ou hors du temps, on ne peut que redécouvrir l’intérêt de la réflexion psychanalytique pour les éclairages qu’elle apporte utilement à la compréhension des aberrations de notre temps.
Sur le chemin du retour, sur la même grande place si froide, des troupes d’adolescents danseurs offraient aux badauds attentifs un spectacle bruyant, virevoltant et coordonné entre danse et gymnastique. Devant la force de leur enthousiasme, dans le soleil du printemps naissant, la vie l’emporte. C’est une évidence. Au-delà de l’histoire, par-dessus les tombes et en dépit de toute violence.