En 2023, un projet d’échanges cliniques et théoriques entre analystes en formation de la SPRF et de l’Association psychanalytique d’Istanbul (API) a vu le jour sur l’initiative d’Alper Sahin, membre de l’API et responsable d’un groupe de travail consacré à l’étude de la psychanalyse française, et de Zoé Andreyev, membre de la SPRF.
Les deux sociétés entretiennent depuis de nombreuses années des relations à la fois scientifiques et amicales et nos membres formateurs sont régulièrement sollicités par l’API pour venir à Istanbul animer des séminaires et mener des supervisions de groupe d’analystes en formation.
Ce projet s’inscrit donc dans une histoire qui en contient plusieurs : histoires de nos sociétés respectives et de leurs liens, histoire des relations culturelles entre la France et la Turquie et, bien sûr, l’histoire de la psychanalyse, une histoire multiculturelle, multilingue, une histoire de voyages, d’exils, de retours, de séparations et de rencontres – à l’image, peut-être, de chacune de nos odyssées (internes ou externes) personnelles.
La première réunion, qui s’est tenue à Paris en novembre 2023, a été consacrée à une discussion (en anglais) sur la formation et sur les activités scientifiques de nos deux sociétés, leurs similitudes et différences, ainsi que sur leurs liens historiques. Nous avions été impressionnés par la vitalité et par l’énergie déployée par les membres et analystes en formation de l’API pour diffuser la psychanalyse en Turquie grâce à l’organisation d’événements culturels consacrés aux liens entre psychanalyse, littérature, cinéma, événements qui rencontrent un grand succès auprès du public.
La réunion avait été suivie d’un déjeuner où nous avions pu faire plus amplement connaissance. Nos collègues stambouliotes nous avaient fait la surprise d’un magnifique cadeau accompagné, évidemment, de délicieux loukoums !
La symbolique du contenant d’un côté, des origines de l’autre[1] a fonctionné, puisqu’à la fin de notre réunion, nous nous étions mutuellement engagés à organiser une « visite retour » à Istanbul, cette fois-ci consacrée plus spécifiquement à des échanges cliniques.
Le 23 février 2025, le groupe SPRF, formé de trois analystes en formation et deux membres de la SPRF, s’est donc rendu dans les locaux de l’API à Istanbul, où nous avons été chaleureusement accueillis par Alper Sahin et les membres de son groupe de travail. Inspirés par leur geste, nous leur avons aussi apporté un cadeau ; le choix s’est porté sur un modèle réduit d’une sculpture de Camille Claudel intitulée « La Valse ».
L’intensité de la vie et de l’œuvre de Camille Claudel, le mouvement, la liberté, le déséquilibre momentané incarnés dans cette Valse sensuelle et tourbillonnante … peut-être symbolisait-elle pour nous à la fois l’anticipation de la déstabilisation qu’offre toute rencontre avec l’autre, et celle de la découverte d’Istanbul « aux mille visages » – orient et occident entrelacés, entre deux mers, entre deux mondes.
Une analyste en formation de la SPRF et une analyste en formation de l’API s’étaient portées volontaires pour présenter quelques séances, en anglais : il faut souligner ici que ni l’une, ni l’autre ne présentait dans sa langue maternelle. Nous étions plongés dans un « entre les langues », un monde d’entre-deux où l’anglais venait condenser à la fois l’étrange et le familier, ce mélange d’inconnu et de reconnaissance qui fait la force d’une rencontre.
Les deux présentations, passionnantes, concernaient des patientes dont l’une, fonctionnant sur un mode hystérique, était allongée sur le divan et l’autre, reçue en face-à-face souffrait de troubles psychosomatiques. Les séances ont ouvert sur de nombreux thèmes : la force du transfert homosexuel chez ces deux patientes et la question de la séduction, de l’agir, et de la façon dont ils peuvent être travaillés selon le cadre (divan ou face-à-face). Nous avons beaucoup parlé de la question du corps, de la façon dont le corporel agit sur la relation entre patient et analyste. Nous avons discuté de l’impact du fonctionnement respectif des patientes sur les choix techniques (choix du cadre, interprétation de transfert ou pas, etc. ) et plus généralement sur les différences de technique analytique entre français et turcs.
Alper Sahin nous a ensuite fait découvrir le Musée de peinture de sculpture de la banque Is, consacré à l’art turc depuis la fin de l’Empire Ottoman jusqu’à nos jours – un musée méconnu doté d’une splendide collection, où nous avons pu constater aussi la force des liens artistiques qui lient la Turquie moderne à la France. Nous avons ensuite dîné tous ensemble dans un excellent restaurant turc et scellé l’avenir de nos échanges scientifiques en discutant de notre prochaine rencontre, cette fois à Paris, autour d’un thème qu’il nous reste à déterminer.
[1] Le document joint précise : "Disque solaire. L'inspiration du motif vient du "disque solaire" en bronze des Hattis qui plus tard devint le symbole de l'univers vers la fin de la période Hittite". Le disque a été découvert lors des fouilles d'Alacahoyuk et date de 2100-2000 avant J.C.