« La civilisation commence quand une personne furieuse choisit un mot plutôt qu’un rocher »
Freud, Malaise dans la civilisation
Les vacances offrent habituellement un temps de vacance psychique et physique, le pare-excitation peut également faire relâche. Cet été, un certain climat social et politique est venu altérer et contrarier cette possible détente.
Freud dans les années 1890, à propos de la psychanalyse, parlait ‘d’attente croyante’ en lien avec son origine dans l’hypnose.
L’attente exprimerait un état psychique particulier, capable de mobiliser une série de forces nécessaires au déclenchement d’une soumission du sujet. C’est ainsi qu’elle se révèle pour Freud d’un intérêt de la plus haute importance.
Cette question de la soumission du sujet mis en position d’attente passive envers la volonté d’un autre inaugure la psychanalyse, l’attente croyante étant la préfiguration du transfert.
Plus tard, dans la Technique psychanalytique, Freud écrit : « Par le mécanisme de notre aide, nous donnons au patient la représentation d’attente consciente d’après la similitude de laquelle il découvre pour lui la représentation inconsciente refoulée ».
L’attente est une représentation qui mène à la frontière de l’espoir et du désespoir. Elle désigne l’action de rendre quelque chose ou quelqu’un présent en soi en lui substituant une construction psychique imaginaire. Elle peut, de ce fait, faire aussi inconsciemment obstacle à la possibilité d’une réelle rencontre avec l’autre ou/et le groupe.
D’un point de vue économique elle mêle, entremêle et démêle les forces pulsionnelles de vie et de mort ainsi que les principes de plaisir et réalité qui -eux aussi- s’articulent entre immédiateté et suspens de la réalisation du désir. Elle peut s’avérer plus ou moins anxieuse ou confiante, en fonction des possibilités propres à chacun d’éprouver positivement ou négativement ce sentiment de temps qui ne passe pas, source de représentations psychiques indécises.
Elle convoque un retour à ce moment singulier de la vie de l’homme, celui de la latence, période qui soutient un ‘entre deux’ qui favorise des mouvements d’attente, de suspension, de remaniements et de réorganisation. Elle structure le passage entre l’avant et l’après, une sorte de point de suspension.
Le point de suspension dans la ponctuation a quelque chose d’essentiel, de très intime dans le rapport au langage. Opposé au point final, il ouvre à l’inachèvement, au refus de la clôture. Dans notre monde connecté, textos, émoticones, il devient l’outil symbole d’un discours interrompu qui ne s’arrête jamais. Sorte de pictogramme d’un discours et d’une pensée en réseau.
L’attente revêt une dimension complexe dans laquelle le sujet se trouve suspendu entre le désir et sa réalisation, entre l’espoir et la désillusion. Cette suspension peut engendrer une immobilisation tant physique que psychique, le sujet se sentant paralysé face à des enjeux qui le dépassent. Ainsi le lien entre l’attente, l’immobilisation et le sociétal est révélateur de tensions psychiques qui traversent les individus et le collectif.
L’immobilisation, quant à elle, peut être vécue comme une défense face à l’angoisse de l’incertitude. Dans un paysage social instable et insécurisant, l’individu peut choisir de se retirer, se protéger derrière un mur d’indifférence. Cette stratégie, bien qu’elle puisse offrir un répit temporaire, finit par renforcer le sentiment d’impuissance et d’aliénation.
La suspension, l’époche, est la suspension de tout jugement de réalité permettant l’écoute flottante nécessaire à l’accueil de l’inconscient du patient. Ainsi la rencontre entre le champ analytique et le champ sociétal se fait dans l’effraction, l’effroi et le conflit, la réalité psychique et ses désirs étant profondément entravée par la réalité extérieure.
Dans le champ politique, l’attente peut-être liée à l’espoir d’un changement ou d’une transformation sociale, elle peut devenir une souffrance, une tension entre un potentiel de transformation et une stagnation douloureusement vécue. Les mouvements sociaux seraient une tentative de rompre la suspension du temps afin de transformer l’attente en action.
Les individus et le collectif sont traversés par des conflits psychiques, la psychanalyse invite à explorer comment l’attente peut-être à la fois source d’espoir et vecteur de souffrance. Il s’agit de processus complexes où les désirs, les peurs et les attentes s’entrelacent façonnant des comportements et des choix obscurs dans un monde dont les transformations peuvent donner un sentiment de perte de sens.
Lorsqu’une réplique célèbre quitte la scène cinématographique pour s’inscrire dans la réalité extérieure, un violent sentiment d’impuissance risque d’envahir tant l’individu que le collectif :
« Il faut que tout change pour que rien ne change »
Heureusement, la rentrée est là. !