Par Anna Dal Mas, Vice-Présidente
Comment ne pas être bouleversé devant la majesté du Dôme, tout de marbres colorés, de dentelles sculptées et d’harmonie géométrique ? Ou ne pas s’émerveiller devant la façade nue de la Basilique San Lorenzo dont les briques en terre cuite sobrement articulées trahissent l’inachèvement du projet de Michel Ange pour ce bâtiment conçu par Brunelleschi à partir d’un site fondé et consacré en 393 apr.J.C ? Comment ne pas se réjouir que, malgré d’impressionnantes crues de l’Arno au cours des siècles, la basilique franciscaine de Santa Croce puisse être conservée ? Des personnages prestigieux y reposent dont Machiavel, Galilée, Rossini, Foscolo -un important poète italien, ou encore Alberti – un humaniste de la Renaissance qui, le premier, théorisa la perspective. Dans ses cloîtres, au fil des murs vieillis, devant d’immenses cyprès qui semblent avoir triomphé de tant d’épreuves, l’air dit le printemps et vivifie la joie d’être présent.
Comment ne pas s’interroger sur ce qui a permis que nous soient transmis ces trésors, fidèles à leur origine en même temps qu’ils ouvraient la voie aux époques successives, leur permettant de se révéler avec leurs styles et leurs innovations ? L’histoire complexe de la ville, ses contrastes, sa magnificence où les temps se côtoient, s’accordent bien à la diversité qu’inspire le thème, cette année, de la 37e Conférence annuelle de la Fédération Européenne de Psychanalyse : « Identifications ».
Dans l’air de Florence reste aussi la trace de son importance politique au fil des siècles. Cette ville est associée à la réinvention de techniques délibératives et électives qui lient développement scientifique et représentation citoyenne. Elle a participé à la construction de l’Italie en lui confiant son dialecte devenu langue nationale. Ainsi au-delà des multiples activités scientifiques, on peut penser que la tenue dans cette ville de la ‘Conférence Annuelle’ convient également aux interrogations fondamentales qui animent la psychanalyse aujourd’hui.
De multiples rencontres et d’intenses discussions eurent lieu, une fois encore, entre collègues européens et représentants auprès de l’Association Psychanalytique Internationale(IPA) autour du sujet de la « télé-analyse ». Les frémissements de ces débats étaient perceptibles jusque dans les échanges autour des pauses ou dans la multiplication des moments de concertation et de réunions. La Fédération Européenne, à travers la réunion des Présidents (ou leurs représentants) cherche à faire entendre sa voix et celle des sociétés qui la composent, aussi librement que possible, dans les turbulences du monde, ses crises, son accélération, ses déchirements. Cette voix se révèle quasi unanime pour défendre la cure psychanalytique en présence devant la tentative de redéfinition de notre discipline. L’assemblée du ‘Council Meeting’ s’est montrée plus partagée quand il s’est agi de tenir compte de contextes réels qui viennent inévitablement choquer nos activités scientifiques, en posant un choix difficile, contestable, à propos du devenir du groupe autour de l’antisémitisme. Il faut débattre, argumenter et tenter de décider au mieux, ou au moins pire, pour l’avenir de tous, en se méfiant de la « subversion des catégories » et au-delà des « crispations binaires » (ces expressions sont de F. Sureau).
Que la psychanalyse vive avec son temps se manifeste évidemment aussi à travers les activités scientifiques. En témoignent notamment des exposés et ateliers autour des évolutions technologiques auxquelles nous amènent -que nous le voulions ou non- les propos, les récits et certaines demandes des patients. Le savoir issu de l’expérience de notre discipline peut sans aucun doute nous aider à penser le présent, même si l’actualité nous prive de la dimension d’après coup. Ces développements remettront-ils en question nos savoirs ? Allons-nous devoir inventer de nouvelles perspectives, catégories nosographiques ou modalités ?
La ‘Conférence Annuelle’ est aussi un lieu de réflexion autour de la formation, dans un même effort d’échange et de rassemblement. Dans notre temps cruel et agité, des collègues russes et ukrainiens, israéliens et arabes se sont trouvés réunis et se sont parlé de leurs pratiques, à la faveur d’un intérêt commun. Ce rendez-vous annuel nous a permis, une fois encore, de nous retrouver relativement nombreux, analystes en formation et membres de la SPRF, contents, parmi la foule des congressistes. Sans oublier les absents, il fut bon de constater que les générations se multiplient dans notre société, signe de notre modeste prospérité. Celle-ci nous rappelle à l’interrogation profonde autour du sens de ce qui nous a été transmis. Quel fut le projet de nos fondateurs ? Comment pouvons-nous nous l’approprier et, comme à Florence, continuer l’histoire ?