Dans les débats actuels sur les problématiques autour de la transidentité on est « pour » ou on est « contre ». La logique est binaire. Toute réflexion, discussion ou élaboration semble impossible. Or il y a derrière ces polémiques un vrai débat : celui de la place des approches psychothérapiques et psychanalytiques dans la prise en charge des enfants et des adolescents.
L’inflation des consultations « spécialisées » avec des parcours surdéterminés identifient le patient à une problématique. Elles l’enferment dans un parcours prédéfini qui nous interroge. En répondant dans l’immédiateté et l’urgence sans prendre le temps d’analyser le contexte, les comorbidités, l’anamnèse ou l’histoire familiale, on prend le risque d’un auto-renforcement d’une problématique qui devient identitaire avec un effet de vérité. Parce qu’il s’agit d’enfant ou d’adolescent, il faudrait faire vite. Il faudrait répondre à la demande, au « besoin » sans chercher plus avant. C’est le danger des consultations « spécialisées ».
Cette approche qui colle au plus près du symptôme est aux antipodes de la démarche analytique qui a longtemps prévalu en pédopsychiatrie avec des excès qui l’ont décrédibilisée et qu’il faut reconnaître : être trop attentiste, ne pas entendre la souffrance des familles, intellectualiser à outrance, ignorer les aspects neurodéveloppementaux.
Mais ces errements ne doivent pas nous faire tomber dans l’excès contraire. La psychanalyse soutient le temps long de l’élaboration, le temps de l’accueil d’une parole et d’une pensée qui se cherchent et d’une réponse qui ne doit pas s’arrêter à la seule satisfaction du besoin.
Quel travail élaboratif peut-on envisager quand il y a la possibilité d’une réponse immédiate, dans l’acte, pour ne pas dire dans le passage à l’acte ? Comment entamer une psychothérapie, comment différer un choix, quand il y a un tout tout-de-suite qui vient répondre au discours manifeste ?
Chacun sait bien que l’enfance et plus encore l’adolescence est le temps de la transition. Le temps du devenir. Faut-il dans ce temps d’une transition si complexe mais si riche, mêler celui d’une autre transition, celle de l’identité sexuée avec des actes irréversibles ? Quand on lit qu’il y a un risque suicidaire augmenté si on ne répond pas à cette demande, n’est-ce pas avoir une vision très sommaire de l’adolescence, de son ambivalence, de son désir de renaissance à travers l’idéation suicidaire ? N’est-ce pas d’une écoute dont l’adolescent et sa famille ont d’abord besoin ? D’une vraie écoute, sans a priori ?
Mais tant qu’existeront des possibilités de « réponses » apparemment miraculeuses insuffisamment encadrées -en particulier pour les mineurs- qui répondent à la satisfaction du besoin, qui empêchent l’élaboration du fantasme, la psychanalyse sera forcément décriée et considérée comme inappropriée dans une société qui ne vit que dans l’immédiateté, court-circuite la pensée et favorise une pensée opératoire.
Faut-il rappeler que notre seul but, en tant que psychanalystes, est d’aider à cheminer dans la liberté de soi, que nous n’avons pas à être « pour » ou « contre », car nous ne sommes pas là pour défendre une idéologie ou une position militante ?
Notre seul projet, notre seul combat est « de conduire le sujet aussi loin que faire se peut dans une démarche désaliénante » (Piera Aulagnier). Or les réponses qui collent au plus près du désir du sujet ne sont-elles pas, par excellence, celles qui renforcent son aliénation ?
Jean Philippe Guéguen