Le 53ème congrès de l’Association Psychanalytique Internationale (API) s’est déroulé à Carthagène en Colombie, du 26 au 29 juillet 2023. C’était le premier congrès en présence depuis 4 ans. Il a réuni plus de 1100 participants venus de 50 pays différents,
Un congrès de l’API c’est d’abord une grand-messe. Le rassemblement d’une très grande famille venue des quatre coins du monde. Une tour de Babel où les langues sont multiples même si, bien-sûr, l’espagnol et l’anglais ont dominé ce congrès. On y apprend d’ailleurs que le portugais va devenir la cinquième langue officielle de l’API (avec l’anglais, l’allemand, l’espagnol et le français).
La langue, l’idiome : une difficulté dans un congrès international malgré les efforts des traducteurs. Une équation insoluble tant on perd en subtilités, sauf à être parfaitement bilingue. Comment penser le multilinguisme en psychanalyse ? Comment entendre le langage de l’inconscient, l’infra-verbal, y compris celui d’un intervenant à la tribune, quand on s’accroche à un texte pour en déchiffrer le sens ? Y-a-t-il une approche différente selon que la psychanalyse se décline en espagnol, en anglais ou en français ? Parlons-nous la même langue « psychanalytique » de Bogotá à Paris, de Rome à New- York ? La langue est un refuge, chacune a son « paysage » mais le risque aujourd’hui est celui d’une « numérisation de l’âme humaine » a souligné Jeanne Wolff Bernstein (Association psychanalytique de Vienne).
Une langue approximative, malmenée, mais qui permet de se rencontrer, de découvrir la diversité et autorise des échanges multiples parfois d’une grande richesse, donnant accès à une forme d’altérité et à un regard sur soi au travers de l’étrangeté et de l’incommunicabilité.
Mais la question de la mondialisation de la psychanalyse se pose. Risque-t-elle de perdre de sa spécificité à trop vouloir s’étendre, à trop s’adapter à des cultures et à des contextes extrêmement différents ? Comment aborder tant de complexités sans les réduire ? Comment ne pas aggraver une fragmentation théorique qui existe depuis longtemps ?
De ce congrès, ressort l’importance du contexte social dans des pays qui n’ont pas la chance, comme la plupart des pays d’Europe, de connaître une relative prospérité et une certaine stabilité. Les psychanalystes d’Amérique latine parlent de guerre, de migrations, de violence, de drogue, d’instabilité politique, d’inflation... Le contexte sociétal et l’histoire sont omniprésents. Ils occupent le devant de la scène. Cela interroge sur la façon dont nous, européens, prenons en compte ce qui se passe en dehors de nos cabinets. Devons-nous, comme on le suggère outre-Atlantique, nous adapter à la société contemporaine, « adapter la psychanalyse » selon les contextes ? Pouvons-nous rester dans une forme d’isolement, afin de préserver la psychanalyse d’une contamination (d’un envahissement) sociétal, préjudiciable à l’écoute de l’inconscient ? Référence est faite à Winnicott qui poursuivait ses analyses malgré les bombardements sur Londres. L’impact sur le psychanalyste et sur la relation transféro-contre-transférentielle du contexte sociétal est-il suffisamment pensé ? C’est un débat qui mérite d’être tenu et que les rencontres internationales suscitent. Une réflexion qu’il faudrait poursuivre à l’intérieur de nos sociétés.
Les trois sociétés colombiennes qui sont réunies en fédération, en ont fait la démonstration. Un pays de 50 millions d’habitants. Peu de psychanalystes. Des décennies de violence. La peur, la crainte, les
dénonciations, la corruption. Une difficulté évidente à s’extraire du contexte. Et le désir, en même temps, d’avoir grâce à la psychanalyse une autre approche, de comprendre les maux de la société et pas seulement de l’individu.
On comprendra que, de ce point de vue, les débats sur l’analyse à distance ne sont pas abordés de la même façon de chaque côté de l’Atlantique. Mais aussi le racisme, l’identité de genre, les discriminations qui semblent ne pas frapper à la porte de la même façon. A moins qu’il ne s’agisse d’une forme de résistance ? Serions-nous sourds aux échos et aux chaos de la société ? Nos collègues du « nouveau monde » les prendraient-ils trop en compte ? Peut-il en être autrement ?
L’objet de ce congrès était justement : « L’esprit dans la ligne de mire » (Mind in the line of fire ). Un titre un peu énigmatique. Ligne de mire ou ligne de feu ? De quel danger s’agit-il ? Voulait-il dire la nécessité de penser les dangers externes, de se détourner d’un objet trop centré sur lui-même ? Nous n’avons pas la réponse et les différentes interventions n’ont pas apporté un réel éclairage sur ces questions même si elles ont mis en évidence à quel point nombre de psychanalystes pensent nécessaires de s’adapter à la société, de ne pas l’ignorer, de la penser, d’aller au-devant d’elle. Ce qui traduit un bel optimisme, un esprit de conquête mais éloigne peut-être de la métapsychologie et d’une réflexion approfondie sur l’intrapsychique. Heribert Blass, président élu, qui succédera à Harriet Wolfe, a insisté dans son discours sur l’importance du respect mutuel et de la reconnaissance des différences en évoquant une « approche psychanalytique pour chaque cas ».
Tout n’est peut-être que question d’éclairage, comme l’a très bien résumé Cosimo Schinaia (Société Psychanalytique Italienne), en évoquant l’équilibre entre la lumière et l’obscurité, l’acceptation de l’incertitude dans notre travail. Quand on cherche dans le noir, il faut un peu de lumière. Mais pas trop. Quand la lumière nous aveugle, on ne voit plus rien.
Saluons enfin le souci de la confidentialité, rappelé pratiquement à chaque intervention et ce panel sur les sociétés analytiques qui s’est interrogé si celles-ci avaient un effet contenant ou si elles étaient une entrave, avec cette idée qu’il faut aussi sortir de sa « famille » pour éviter l’endogamie. Les congrès permettent de voir les cousins éloignés et cela aussi fait du bien.
Le prochain congrès de l’API aura lieu dans deux ans, à Séville (Espagne) du 23 au 26 juillet 2025.